Articles de fond de la revue Rebuilding Success - Printemps/Été 2025 > Il n’y a pas de quoi en rire : Les tribunaux mettent les points sur les i au sujet de la loi LPPS dans l’affaire Juste pour rire
Il n’y a pas de quoi en rire : Les tribunaux mettent les points sur les i au sujet de la loi LPPS dans l’affaire Juste pour rire
![]() |
Par Marc-André Morin, associé et Éliane Dupéré-Tremblay, avocate, Fasken
Aperçu :
Au Québec, les tribunaux ont récemment fourni quelques éclaircissements en ce qui concerne l’application de la Loi sur le Programme de protection des salariés (« LPPS ») aux anciens employés d’entreprises en cours de restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »). L’enjeu central était de déterminer si la LPPS s’applique aux employés qui ont été licenciés à la suite d’une ordonnance de dévolution inversée (« ODI »).
Ces décisions établissent clairement que le programme de protection des salariés peut être invoqué pour accorder réparation aux employés qui sont licenciés dans le cadre d’une transaction, sans égard à la structure de la transaction (vente d’actifs traditionnelle ou ODI). Avant ces décisions, une grande incertitude régnait sur la question de savoir si les employés licenciés dans le cadre d’une transaction de type ODI dans une procédure LACC pouvaient bénéficier de la LPPS.
La Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel ont clairement tranché : la Cour est compétente, en vertu de la LPPS, pour établir que l’entité ODI était un « ancien employeur » auquel la LPPS s’applique. Cette décision est conforme à l’objectif de réparation de la LACC et de la LPPS et assure un résultat équitable pour tout employé touché par une restructuration.
Contexte factuel
Le groupe de sociétés Juste Pour Rire (le « Groupe JPR ») était un acteur majeur au Québec dans la production de festivals d’humour et de contenus médiatiques. Le 5 mars 2024, six entités du Groupe JPR ont déposé un avis d’intention en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, procédure qui a ensuite été convertie en procédure LACC pour l’ensemble du groupe.
À la suite d’un bref processus de sollicitation d’investissement et de vente (SISP) en mai 2024, une vente importante d’actifs a été finalisée dans le cadre de laquelle trois entités ont vendu leurs actifs à un acquéreur, ComediHa! 24 Inc. (ComediHa), et ont cessé leurs activités. L’une d’entre elles, Former Gestion Inc. a licencié tous ses employés avant la transaction. Douze autres entités (les « Entités ODI ») ont vendu leurs actions aux acheteurs, et leurs passifs ont été transférés à une société nouvellement constituée, ResidualCo, aux termes d’une ordonnance de dévolution inversée. Cinq de ces Entités ODI ont licencié leurs employés et le passif lié à ces licenciements ayant été transféré à ResidualCo.
Une centaine d’employés ont été licenciés avant la transaction, dont 45 par Former Gestion Inc. et 55 par les entités ODI. Bien que tous les salaires et indemnités de départ aient été versés, ces employés n’ont pas reçu d’indemnité de préavis.
Le Groupe JPR a présenté au tribunal une requête en vue d’obtenir une ordonnance approuvant la vente et une déclaration selon laquelle les anciens employés de Groupe JPR étaient couverts par la LPPS. Le Groupe JPR s’est ensuite inquiété du fait qu’Emploi et Développement social Canada (« EDSC »), qui administre la LPPS, puisse refuser de verser aux anciens employés des entités ODI leurs salaires impayés.
Soucieux d’assurer un traitement équitable à tous les anciens salariés, le Groupe JPR a sollicité une déclaration établissant qu’au moment du licenciement des anciens salariés du groupe JPR, leur employeur respectif était un ancien employeur répondant aux critères énoncés à l’article 3.2 du règlement du PPS. Le Groupe JPR a également demandé à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 11 de la LACC pour déclarer que, aux fins de la LPPS, tous les anciens employés de JPR étaient employés par Former Gestion Inc. au moment de la cessation de leur emploi.
Le procureur général du Canada, représentant EDSC (ci-après « PGC »), s’est opposé à la demande, arguant que la demande de redressement rétroactif n’était pas justifiée, que le tribunal ne pouvait pas interférer avec le pouvoir du ministre de déterminer l’admissibilité des anciens employés au titre de la LPPS, et que puisque les entités ODI n’avaient pas mis fin à leurs activités, la LPPS ne s’appliquait pas à leurs anciens employés.
Décision en première instance : Arrangement relatif à Former Gestion Inc, 2 024 QCCS 3645
La Cour supérieure a estimé que la LPPS s’appliquait aux anciens employés des entités ODI et que le moment où cette décision devait être prise était celui où les employés étaient licenciés. La Cour n’a pas jugé nécessaire de statuer sur la demande de déclaration rétroactive de Former Gestion Inc. en tant qu’employeur des employés.
En arrivant à cette conclusion, la Cour a confirmé que la LPPS vise à rapidement verser une indemnisation aux employés qui perdent leur emploi en raison de l’insolvabilité de leur ancien employeur ou d’une restructuration. Par conséquent, la loi doit être interprétée de manière large et libérale pour atteindre son objectif.
La Cour a estimé que l’article 3.2 du règlement du PPS n’exige pas qu’un employeur soit en train de liquider son entreprise pour que ses anciens employés puissent bénéficier de la LPPS. Cette disposition est facultative et permet aux employés licenciés de réclamer des arriérés de salaire, même si des particuliers sont encore impliqués dans la liquidation des activités de l’employeur.
La Cour a souligné que l’objectif de protection de la LPPS ne devait pas être remis en cause par les spécificités du transfert des actifs et des passifs d’un employeur. Le facteur déterminant consiste à savoir si les employés sont licenciés pour cause d’insolvabilité ou de restructuration. La Cour a estimé qu’il serait contraire à l’objectif de la LPPS de refuser d’indemniser un salarié licencié simplement parce que la transaction a eu lieu par le biais d’une ODI, par opposition à une ordonnance d’acquisition traditionnelle.
Demande de permission d’appeler : Procureur général du Canada c. Former Gestion Inc., 2024 QCCA 1441
ESDC a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de première instance, qui a été rejetée par la Cour d’appel du Québec.
En appel, le PGC a fait valoir que le tribunal de première instance a erré (i) en se prononçant sur l’« admissibilité » au programme de protection des salariés, une question qui relevait de la compétence exclusive du ministre, et, subsidiairement, (ii) en déterminant que le moment pertinent pour déterminer l’admissibilité d’un salarié se situait au moment de la résiliation.
Le Groupe JPR a fait valoir que, contrairement à ce qu’affirme le PGC, la décision de première instance ne déclarait pas l’admissibilité des employés, mais seulement l’applicabilité de la LPPS. En outre, la décision de première instance était conforme à la nature réparatrice de la LPPS, dont l’objectif était d’offrir aux employés licenciés une certaine aide financière, sans égard à la structure de la transaction potentielle.
Pour déterminer si l’autorisation d’appel devait être accordée, la Cour d’appel du Québec a examiné les critères en quatre volets appliqués par les cours d’appel de tout le pays et a jugé que l’appel de l’AGC n’était pas, à première vue, fondé.
Tout d’abord, la Cour a estimé que le tribunal de première instance n’avait pas, directement ou indirectement, déclaré l’admissibilité de l’employé à la LPPS. La seule conclusion déclaratoire était que Former Gestion Inc. et les autres entités ODI étaient d’anciens employeurs qui répondaient aux critères prescrits par l’article 3.2 du règlement du PPS. Cette décision s’inscrit dans les limites des pouvoirs du juge de première instance. Deuxièmement, la Cour d’appel a ajouté qu’il n’y avait « rien de mal » à ce que le juge justifie sa décision en utilisant une référence temporelle qui est pertinente pour les réalités spécifiques de l’affaire et pour déterminer si les exigences de l’article 3.2 du règlement du PPS s’appliquent.
Conclusion :
Ces décisions renforcent l’objectif réparateur de la LPPS et assurent que les anciens employés touchés par une insolvabilité ou une restructuration ne se verront pas refuser une indemnisation simplement parce que la restructuration de leur ancien employeur a pris la forme d’une transaction par le biais d’une ODI. Cette décision est importante tant pour les employés que pour les employeurs qui doivent faire face aux complexités d’une restructuration d’entreprise.