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La vente d’actifs, un défi pour les syndics autorisés en insolvabilité
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Par Lynn Greiner
Au cours de la dernière décennie, les restructurations classiques, telles que la négociation avec les créanciers et le dépôt de propositions ou de plans d’arrangement, se révèlent de moins en moins viables pour de nombreux syndics autorisés en insolvabilité (SAI). Au lieu de cela, des actifs sont mis en vente pour générer des liquidités et rembourser les dettes.
« Il y a quelques années, un événement appelé COVID-19 a beaucoup changé les choses », remarque Dominic Deslandes, CPA, SAI, associé chez Raymond Chabot Grant Thornton. « Beaucoup d’entreprises ont fermé leurs portes, d’autres ont vu leur chiffre d’affaires augmenter considérablement. Au cours de cette période, de nombreuses entreprises ont créé beaucoup de valeur. Maintes transactions de grande valeur ont également été réalisées à cette époque, la plupart financées par l’emprunt. L’optimisme était vraiment au rendez-vous. »
Il ajoute toutefois que cet optimisme s’est traduit par un grand nombre de prêts accordés par les banques à qui des chiffres irréalistes avaient été fournis. Au cours des 12 à 18 derniers mois, la réalité s’est imposée. On a assisté à la diminution des ventes et de la valeur de nombreuses entreprises débitrices. Les banques ont alors réalisé qu’une grande partie de la dette était basée sur des actifs dont la valeur était inférieure à celle des prêts, mais elles ont fait montre de patience, espérant que les entreprises redeviendraient rentables ou qu’une autre tendance leur permettrait de recouvrer les prêts. Au cours des six derniers mois, leur patience a été mise à rude épreuve.
« Dans certains cas, les créanciers garantis ont estimé qu’il serait souhaitable de se retirer de certains dossiers. Ils ne pensaient pas pouvoir attendre plus longtemps et redoutaient, s’ils attendaient, de courir plus de risques après six mois », explique-t-il. « Dans certains dossiers, les gens continuent à faire preuve de patience et, dans d’autres, les créanciers garantis estiment qu’il est préférable d’encaisser une perte maintenant, habituellement dans le cadre d’une procédure de cession supervisée et rigoureuse. Ils sont prêts à accepter un prix inférieur pour les actifs parce qu’ils estiment qu’attendre de vendre les actifs plus tard les expose à plus de risques. C’est ce que je constate de plus en plus souvent. »
Un vent de changement
« La pandémie de COVID-19 a eu un effet profond sur l’économie canadienne », déclare Chelene Riendeau, PAIR, SAI, vice-présidente de MNP ltée, « ce qui a entraîné une augmentation des restructurations d’entreprises, vu les nouvelles conditions du marché ». Les entreprises ont dû faire face aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement, aux changements de comportement des consommateurs et à une évolution de la dynamique du commerce mondial. La technologie et l’automatisation ont également joué un rôle crucial. Les entreprises adoptent de plus en plus les nouvelles technologies pour accroître leur efficacité et leur compétitivité. Ces changements ont entraîné une évolution notable vers la cession d’actifs, qui offre un moyen plus rapide de générer des liquidités et de rembourser les dettes.
Et les options sont moins nombreuses aujourd’hui, explique Jonathan Krieger, vice-président principal et responsable national des restructurations à Grant Thornton Limitée. « Les changements des habitudes des consommateurs ont intensifié la pression sur les industries qui étaient déjà vulnérables », observe-t-il. « Ces changements ne laissent souvent que très peu de solutions viables à court terme, ce qui oblige certaines entreprises à être liquidées plutôt qu’à recourir aux options de restructuration classiques. L’instabilité financière n’est plus le seul défi de certaines entreprises qui sont aux prises avec des changements fondamentaux dans leurs modèles de fonctionnement et leurs activités en raison de l’évolution des préférences des consommateurs et de la dynamique du marché qui ne se corrigera pas d’elle-même, même si l’endettement baisse. »
Cela peut rendre la sauvegarde de l’organisation difficile. En fait, selon M. Krieger, « dans certains cas, la technologie a fait que certaines entreprises ont dépassé leur durée de vie utile et qu’il n’y a pas grand-chose à restructurer ou à vendre. » Par ailleurs, Mme Riendeau fait remarquer que, bien que la cession d’actifs puisse être moins complexe, moins coûteuse et moins longue qu’une restructuration officielle, « la décision de vendre des actifs ou de négocier avec les créanciers et de déposer une proposition ou un plan d’ensemble dépend de la valeur et de la qualité marchande des actifs, de la santé financière de l’entreprise, de la coopération des créanciers et des conditions du marché. »
L’évaluation des actifs
Lorsque cette décision a été prise et qu’une vente d’actifs se dessine, toute une nouvelle série de défis attend le SAI. L’un des principaux problèmes est l’évaluation des actifs en vue de leur vente. « L’évaluation précise d’actifs en difficulté peut s’avérer difficile, en particulier sur des marchés volatils », ajoute Mme Riendeau. « Cela peut potentiellement conduire à des désaccords entre acheteurs et vendeurs. »
Dominic Deslandes le confirme. « La valeur des entreprises et des actifs était plus élevée il y a un an, un an et demi ou deux ans. Elle a maintenant baissé en raison de nombreux facteurs, dont l’incertitude sur le marché. Ainsi, lorsque nous procédons à une vente d’actifs ou d’entreprises et que nous disposons d’une évaluation, celle-ci est la plupart du temps beaucoup plus élevée que les prix que nous obtenons. »
Et, ajoute M. Krieger, « le processus de vente est également devenu plus stratégique. Les ventes d’actifs ne sont plus considérées comme une solution par défaut, mais dans une optique plus large d’amélioration opérationnelle et de viabilité à long terme. »
Une vision plus globale s’impose
L’argent est, comme toujours, un autre problème. M. Deslandes souligne que les banques sont moins enclines à financer les transactions à un prix plus élevé, ce qui fait baisser la valeur des actifs. En outre, Mme Riendeau fait remarquer que « les mauvaises conditions du marché peuvent rendre difficile la recherche d’acheteurs disposés à payer un prix équitable pour les actifs. Cela peut prolonger le processus et réduire la valeur de recouvrement. » S’il y a en plus des données sur la clientèle, ajoute-t-elle, la conformité à la réglementation sur la protection des renseignements personnels est un facteur complexe qui s’ajoute aux obstacles juridiques et réglementaires à surmonter. Selon elle, il faut « prêter une attention particulière aux détails pour éviter l’imposition d’obligations. » Il est également important, tout au long du processus, de préserver la réputation du vendeur, dit-elle, car « les perceptions négatives peuvent affecter la valeur des actifs et l’intérêt des acheteurs potentiels. »
Tout cela a nécessité des ajustements dans l’approche d’un SAI. « Nous nous sommes adaptés en adoptant une vision plus globale des mandats de restructuration et travaillons souvent plus étroitement avec notre équipe de conseil en transactions pour relever les défis opérationnels fondamentaux et dénicher des solutions innovantes », déclare M. Krieger.
Mme Riendeau est d’accord. « Pour surmonter ces obstacles, il faut combiner planification stratégique, communication efficace et capacité d’adaptation », explique-t-elle. « Engager des conseillers expérimentés dès le début du processus peut aider à relever les problèmes et contribuer à la réussite du plan de restructuration ou à la maximisation des réalisations. »
« Il est important de se tenir au courant des dernières tendances du secteur, de la réglementation et des meilleures pratiques », ajoute-t-elle.
Un processus de vente en pleine transformation
En raison de tous ces facteurs, entre autres, le processus de vente lui-même est en train de changer, mais pas toujours dans le bon sens, fait remarquer M. Deslandes. Pour la première fois, il ne constate aucun intérêt des acheteurs dans les actifs, quel qu’en soit le prix.
« Il y a de l’argent, mais les gens sont plus prudents lorsqu’ils font des offres. De plus, lorsque nous entamons [le processus], la plupart du temps, l’intérêt est là. Ils veulent voir ce que nous avons à vendre. Ils manifestent leur intérêt », déclare-t-il. « Malheureusement, ils regardent l’occasion qui s’offre à eux et se disent alors : "Ce n’est pas ce que nous avions imaginé. Cela ne nous intéresse plus." C’est étrange, parce qu’il y avait beaucoup d’intérêt au début, puis plus nous avançons dans le processus, plus l’intérêt s’amenuise, et, au bout du compte, dans certains processus, nous n’avons pas d’offre.
Cela ne se produit que dans 10 à 20 % des cas, ajoute-t-il, mais c’est quelque chose de nouveau. »
Mme Riendeau a elle aussi constaté des changements dans le processus de vente.
« L’accent est davantage mis sur la rapidité des ventes afin d’en maximiser la valeur », indique-t-elle. « L’utilisation accrue de la technologie joue un rôle important en changeant la façon dont nous vendons les actifs. Le processus de vente est devenu plus numérique, avec les salles de données en ligne, les ventes aux enchères en ligne et le marketing numérique. Les technologies de pointe permettent également aux acheteurs de procéder à des vérifications préalables plus approfondies. »
Une grande part d’incertitude
Elle fait preuve d’un optimisme prudent pour l’avenir, mais tout dépend des conditions du marché.
« Le succès des ventes d’actifs est largement influencé par les conditions du marché. Des conditions de marché favorables peuvent conduire à des valeurs de recouvrement plus élevées, tandis que des conditions défavorables peuvent nécessiter des approches de vente plus stratégiques. »
M. Deslandes ajoute que le nouveau gouvernement américain rend les gens nerveux. Il y a beaucoup d’incertitudes, mais il pense que les choses se calmeront d’ici un an ou deux. « C’est un cycle », déclare-t-il. « Il y aura un retour à une certaine normalité. »